Le Kinok de Saint-Gall est le cinéma le plus important et le plus vaste de Suisse orientale, un mélange de films d’art & d’essai et de films non commerciaux et une salle qui rayonne bien au-delà de la région. Sa «success story» a débuté il y a bientôt 40 ans, mais elle s'est essoufflée actuellement en raison de la situation pandémique.
« Dans les années 80, les cinémas de la ville ne passaient que ce qui remplissait la caisse », explique Sandra Meier, directrice du Kinok. « Les films suisses de gauche, critiques, réalisés par des auteurs comme Fredi M. Murer ou Richard Dindo ne figuraient pas au programme. »
Les choses ont changé en 1985, quand la Ville a alloué des moyens aux cinéphiles pour lancer une entreprise pilote. « Enfin sont apparues des alternatives à la bouillie insipide à but purement commercial », résume Sandra Meier.
Les premiers exploitants, qui s’étaient baptisés les « Kinokis », ont voulu présenter le cinéma sous toutes ses formes et dans tous ses formats et faire participer le public aux découvertes qu’ils avaient faites eux-mêmes à l’occasion des festivals.
Des rétrospectives de grande ampleur, notamment de Pier Paolo Pasolini, Andreï Tarkovski ou Rainer Werner Fassbinder, et des films de pionnières comme Alice Guy-Blaché, Lois Weber et Germaine Dulac ont familiarisé le public avec des œuvres de différentes tendances et sensibilités. « Le Kinok a projeté des films indiens, sud-américains et chinois avant même que des distributeurs suisses commencent à s’intéresser à ces cinématographies », remarque la directrice du Kinok. « Avant l’apparition du DVD, les salles de cinéma étaient le seul endroit où il était possible de voir de tels films. »
Au début, le Kinok ne disposait pas d’une salle de cinéma, il a dû s’installer dans des endroits toujours différents : dans l’usine d’incinération des ordures ménagères ou aux bains-douches de la commune, au parc municipal ou à Sittertobel. Finalement, un local approprié a été trouvé à la Grossackerstrasse, dans l’ex-cinéma Apollo. Ce site excentré s’est bientôt révélé peu propice. « Le cinéma rêvait d’un endroit au cœur de la ville », explique Sandra Meier.
Puis est arrivée la « Lokremise » (l’ancien hangar aux locomotives). Les milieux politiques et culturels ont uni leurs forces et, en lieu et place d’une exploitation mixte comprenant un studio de remise en forme, une école privé et un cinéma, comme l’envisageaient les CFF, l’ensemble a pu être affecté à la culture. En 2008, la transformation de l’ancien dépôt des locomotives, qui avait abrité une des galeries d’art les plus renommées de Suisse entre 1999 et 2004 (Hauser & Wirth), en un centre culturel a été acceptée par le canton en votation populaire. Le centre a ouvert ses portes en 2010. Ce fut et c’est resté à la fois un coup de chance et une success story. Pas seulement pour le Kinok mais pour toute la population de la région.
La branche résiste
Ensuite la branche à été mise à l’arrêt pour des mois et des mois. « Nous sommes passés en pilotage sans visibilité », comme le dit Sandra Meier. « Tout ce que nous pouvons faire c’est de la planification roulante. » Autrement dit : des programmes ont été établis juste pour les ranger ensuite parmi les vieux papiers. Et pour conserver aussi un minimum de visibilité pendant la crise, le Kinok a proposé un programme de films sélectionnés à voir en streaming. Mais les chiffres étaient très raisonnables, dit Andreas Stock, le directeur adjoint du Kinok. « Le streaming ne remplace pas le film vu en salle. »
Pour tous les responsables d’entreprises culturelles, la situation était extrêmement difficile. Pourtant, Andreas Stock estime la branche « capable de résister à la crise. La mort du cinéma a déjà été prophétisée souvent et cependant il a toujours survécu. »
Le Kinok bénéficie du soutien de la Ville et du Canton mais personne ne sait comment les choses évolueront. C’est pourquoi le cinéma est heureux d’avoir autant de membres. Ils sont plus de 2000. D’autres salles avancent dans la même direction. Le Riffraff et le Houdini à Zurich ont créé il y a peu « Linie 32 » afin de promouvoir la culture cinématographique en ville. Les membres de cette nouvelle association sont attachés à un certain type de cinéma, ils entendent voir des films au sein de la communauté, en discuter après le générique de fin autour d’un verre de vin et leur engagement représente un fort soutien pour les institutions en cause.
« La préoccupation de transmettre une culture cinématographique exigeante et vivante, comprenant aussi bien des premières que des œuvres de l’histoire du cinéma, est restée intacte », affirme Sandra Meier en survolant les presque 40 ans d’existence du Kinok. Pour que les petits films dérangeants – eux surtout – ne pâtissent pas de l’offre surabondante qui a inondé les salles à la suite du confinement, des lieux comme le Kinok et d’autres veillent au grain. Ce sont des lieux qui deviennent les défenseurs de ces films.
Un livre à lire : la salle saint-galloise figure dans « Rex, Roxy, Royal », un ouvrage édité, conçu et réalisé par Sandra Walti et Tina Schmid. Sorti en 2016, le livre brosse le portrait de 111 salles petites ou grandes de toutes les régions linguistiques du pays. Il est toutefois épuisé et ne peut être déniché que chez les antiquaires.
Le présent texte de Raphael Amstutz a été écrit avec l’aide de la Gottlieb und Hans Vogt Stiftung. Dans leur magazine en ligne, les Journées de Soleure reprennent des contributions choisies nées dans le cadre du nouveau thème prioritaire de l’agence Keystone-ATS relatif au cinéma et à la culture cinématographique. Cette initiative fait suite au programme « Focus » de cette année consacré à l’Eloge de la critique et a pour but de donner une nouvelle visibilité à la critique de cinéma et aux pages culturelles de la presse écrite suisse. Une équipe d’auteurs indépendants rédige régulièrement des contributions approfondies en guise de complément aux informations d’actualité.
Foto: @Kinok