
Quelles conséquences professionnelles a eu la pandémie sur votre travail?
Antoine Duplan: Elles n’ont pas eu de conséquences économiques, mais morales. J’ai cessé de travailler le weekend et le soir, j’ai diversifié mes activités (littérature, bandes dessinées, expositions...), mais j’ai plongé dans une forme de tristesse liée au manque de stimulations, de nouvelles propositions, et surtout au désarroi des professionnels du cinéma que je fréquente – cinéastes, exploitants, attachés de presse... L’impression d’être sur une voie de garage est pesante. J’ai une petite dizaine d’articles en attente des beaux jours (critiques et interviews liés à des films déprogrammés au gré des vagues) et ça me désole.
2020 a ébranlé les certitudes et accéléré les mutations de l’industrie des médias. Est-ce que des solutions se dessinent déjà sur la manière de réagir face à ces difficultés?
Oui. Prépondérance de l’édition online.
La critique de cinéma doit essayer d’arracher à ce tourbillon de vacuité électronique les gens encore susceptibles de s’émerveiller.
A l’avenir, selon les prophéties de l’écrivain britannique J.G. Ballard énoncées au début des années 1990, nous devrons tous devenir des critiques de cinéma, pour ne pas perdre nos repères dans l’environnement médiatique. Qu’est-ce que doit produire aujourd’hui la critique de cinéma ?
La prophétie de Ballard commence à dater. Elle était valable quand il y avait des queues devant les cinémas et les cinémathèques, quand les films, voire des ciné-clubs à la télévision, créaient l’événement et qu’on en parlait en groupe. Maintenant (hors pandémie) les salles peinent à faire le plein, les gens passent leur temps à scroller les listes des titres disponibles sur les plateformes de diffusion et regardent les films n’importe comment, sur leur laptop ou leur téléphone. L’environnement médiatique, c’est Facebook, c’est Instagram et autres réseaux sociaux où circulent photos ineptes et commentaires désobligeants... Alors, la critique de cinéma, dans ce naufrage de la pensée... Elle doit essayer d’arracher à ce tourbillon de vacuité électronique les gens encore susceptibles de s’émerveiller, de rester assis deux heures dans une salle obscure pour entrer dans le regard d’un autre et découvrir des aspects inconnus du monde...
La critique de cinéma est-elle responsable de la création cinématographique indigène?
Oui, elle a cette responsabilité. Elle doit encore lutter contre les préjugés qui veulent que le cinéma suisse soit ennuyeux, elle doit essayer de rétablir un équilibre par rapport aux budgets promotionnels gigantesques du cinéma américain, elle doit faire vivre les professionnels du cinéma dans l’esprit des lecteurs.
Quelle œuvre de la critique de cinéma ou quel-le critique de cinéma a eu la plus grande influence sur votre propre travail?
Dans les années 60-70: Freddy Buache. Il était le seul auquel j'avais accès, La Tribune-Le Matin publiant tous les dimanches une critique. Je découpais ses articles et les collais sur des feuilles de papier pour le jour où je verrais le film... Je ne voyais presque jamais les films dont il parlait, mais je les imaginais. A l’adolescence, quand j’ai commencé à voir les films dont il parlait, j’étais fasciné par le passage des images aux mots et retour, ainsi que par la subjectivité de chaque regard. Plus tard: Gérard Lefort, dans Libération, pour l’humour.
