
Dans son admirable nouvelle, Gottfried Keller transpose librement Shakespeare et donne à l’histoire de Romeo et Juliette les accents du terroir helvétique. Vreneli et Sali s’aiment depuis leur plus tendre enfance, mais leur amour est contrarié par la querelle de leurs deux familles. La tendresse pure de leur adolescence ne fait que mettre en lumière la mesquinerie des adultes. Leur idylle offre, par conséquent, l’occasion d’un poème d’amour où le lyrisme des sentiments s’accorde à celui de la nature. Et, simultanément, elle permet de décrire la vie quotidienne d’un village et les mécanismes d’une société de propriétaires. Un vagabond, violoniste des bals champêtres, apporte la note de l’aventure et de la liberté.
Schmidely et Trommer ont respecté l’esprit de l’écrivain; ils ont su trouver les équivalences cinématographiques de son style; ils n’ont donc pas illustré le livre mais ils l’ont reécrit au moyen de la caméra.
Dans aucun film suisse le paysage, les hommes et les femmes, les travaux et les jours, ne possèdent à ce pont l’authenticité documentaire alliées à une telle vérité d’ordre tragique. Les auteurs semblent avoir été profondément inspirés pour conduire leur travail et ils ont trouvé, avec leurs interprètes, un accord expressif digne des meilleures réussites du cinéma international.
Leur œuvre transcend le régionalisme; tout en demeurant typiquement attachées aux moeurs et aux réalité de notre pays, elle débouche, par ses qualités de style, sur l’universel. Ce miracle s’accomplit sur l’écran comme il s’accomplit dans les gages de Gottfried Keller ou de C. F. Ramuz.
On pourrait comparer ce film aux classiques du cinéma suédois ou, pour parler d'une époque moins lointaine, à «Mademoiselle Julie» d’Alf Sjöberg. Il montre la voie à suivre: nos cinéastes ne doivent pas viser l’audience internationale en choisissant des sujets à caractère international. Ils doivent, au contraire, s’attacher à exprimer notre caractère national, mais dans un esprit et au moyen d’une écriture capable de fonder une esthétique transfigurante. En ce sens, «Romeo und Julia auf dem Dorfe» reste un accomplissement exemplaire dont on n’a pas, malheureusement, compris la portée hier, mais qui reste valable pour aujourd’hui et pour demain.
Je signale encore, à titre informatif, que la nouvelle de Gottfried Keller fut adaptée au cinéma en France également: en 1940, par Willy Rozier, avec Constant Remy, Robert Lynen et Larguey, sous le titre «Espoirs». Il est d’une exécrable médiocrité. (Freddy Buache)